Pastoralisme et Loups

Deux composants importants de nos territoires naturels, encore en conflit aujourd’hui, autour d’enjeux techniques, économiques, politiques et sociétaux parfois difficiles à concilier.

Le pastoralisme

Ce mode d’élevage extensif est fondé sur la libre pâture des animaux. Le pastoralisme soutient aujourd’hui plus de 200 millionsde personnes dans le monde. Cette activité est importante à différents niveaux : pour l’emploi, pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, pour le maintien de certains habitats naturels, pour une gestion durable des ressources naturelles et il offre divers services écosystémiques. Cependant cette activité ancestrale connait d’importantes difficultés pour rester dans la course face aux nombreux changements dans nos sociétés occidentales .

Les indices de la domestication du mouton – à partir du mouflon d’Asie- et de la chèvre – à partir de la chèvre à Béozard – datent de 7000 à 8000 ans avant notre ère et ont été retrouvés en Asie occidentale (Irak et Iran). Cette concentration de proies sélectionnée pour leur docilité à de tout temps attirer les prédateurs. Les éleveurs ont ainsi développé des méthodes de protection variant selon les régions, les pays et les cultures. Mais avec la disparition ou la diminution drastique de l’effectif de ces prédateurs, la protection s’est perdue. Aujourd’hui les défis sont grands : adapter cette pratique aux enjeux sociétaux et aux retours des prédateurs. Mais pourquoi vouloir développer le pastoralisme ?

« Le pastoralisme est l’un des systèmes alimentaires les plus durables de la planète. » UICN – UNEP

De plus, le pastoralisme durable maintient la fertilité et le carbone du sol grâce aux excréments des troupeaux rapportant de la matière-organique et encourageant le processus de formation de l’humus. Il participe à la conservation de la biodiversité et la gestion du risque incendie en conservant des milieux ouverts tels que les prairies. Ces écosystèmes sont riches d’une biodiversité qui leur est spécifique (graminées, invertébrés, …). En l’absence de pâturage les sols évolueraient vers les friches puis les forêts. Ces derniers sont reconnus comme moins riches dans leur diversité biologique. Les pratiques, les éléments paysagés entretenus (haies, ares, etc.), la mosaïque de parcelles et donc d’habitats, créés par les éleveurs, déterminent les types et la répartition des espèces végétales et animales présentes dans le milieu. Autrement dit le pastoralisme, bien mené, favorise la « biodiversité ordinaire ».

« Le pastoralisme va au-delà d’une activité de production animale ; c’est un mode de vie, une culture et une identité. » VSF Internationale


Les maintiens du pastoralisme est confronté à bien des défis dans les différentes régions du monde. Les prédateurs n’y sont jamais cités comme source de mise en danger de cette forme d’agriculture (excepté pour les éleveurs de rennes).

Les défis auxquelles doivent faire face la majorité des pasteurs du monde sont d’une tout autre nature :

  • Marginalisation politique, socio-économique et culturelle
  • Inégalité d’accès au marché
  • Accaparement des terres et de l’eau
  • Dégradation des pâturages
  • Réduction de la mobilité du bétail et restriction de l’accès aux pâturages, à l’eau et aux autres ressources naturelles
  • Changement climatique et catastrophes naturelles
  • Sédentarisation et déplacements forcés
  • Accès insuffisant aux infrastructures primaires et aux services de bases (éducation, vétérinaire, santé…)

En Suisse, en France et en Espagne l’accessibilité au foncier, les changements climatiques, la dégradation des pâturages et la marginalisation politiquesocio-économique et culturelle ainsi que l’inégalité face aux marchés font pression sur cette activité

En 2010, en France, deux tiers des chefs d’exploitation, détenant 46 % du cheptel ovin, ont plus cinquante ans. Pour faire face aux départs à la retraite il faudrait environ 1 000 nouveaux éleveurs chaque année… Le cheptel ovin français continue à diminuer. Les crises et les changements de sociétés n’ont pas été en faveur de ce système d’exploitation :

  • Chute du prix de laine à partir de 1857
  • Fin du protectionnisme dans les années 1980 entraînant une baisse du prix de la viande d’agneau
  • Diminution de 50% de la consommation de viande ovine depuis 1990, elle devient la viande la moins consommée en France (3%)

Cependant, avec la nouvelle donne écologique, un élevage raisonné, de proximité, à de quoi répondre aux attentes actuelles en terme de qualité et d’impact écologique réduit. Une meilleure connaissance de cette pratique peut aussi aider pour son développement et son soutien comme le préconise l’UICN et l’UNEP.

Et, c’est dans ce contexte incertain que le loup s’installe et ajoute un peu plus de complexité.

Pour en savoir plus sur le pastoralisme :

Sources :

  • Brochier J.E, 2005. Des hommes et des bêtes : une approche naturaliste de l’histoire et des pratique d’élevage, in GUILAINE J. (Dir.) : Population néolithique et environnements. Séminaire du Collège de France, Paris : Errance, 2005, p. 137-157.
  • Vigne J.D., 2000. Les débuts néolithiques de l’élevage des ongulés au Proche Orient et en méditterranée : acquis récents et perspectives, in GUILAINE J.(Dir.) : Premiers paysans du monde, Naissance des agricultures, Séminaire du Collège de France, Paris : Errance, 2000 ? p. 143-168.
  • Gautier A., 1990. La domestication. Et l’Homme créa l’animal, Paris : Errance, 1990.
  • McGahey, D., Davies, J., Hagelberg, N., et Ouedraogo, R., 2014.
  • Pastoralisme et Economie Verte – un lien naturel? PNUE & UICN, 58p.
  • Huyges C. 2005. In INRA Editions, Prairies et cultures fourragères en France, 201pp.
  • Dumont B, Farruggia A., Garel J.P., Pâturage et biodiversité des prairies permanentes 8p.

Les loups

Grands carnivores ou encore supers-prédateurs, les loups actuels (Canis lupus) sont issus d’une longue histoire évolutive. Aujourd’hui encore, malgré de nombreuses études, ils font l’objet de beaucoup d’idées reçues et représentations. Mais les nouvelles avancées et découvertes scientifiques autour de cette espèce, permettent d’y voir plus clair et de mieux comprendre sa dynamique. Ces connaissances seront essentielles pour sa conservation et pour bâtir de nouvelles formes de cohabitation avec les activités humaines et selon les enjeux de société actuels.

L’histoire du loup (Canis lupus) a commencée il y a plus longtemps que la nôtre (Homo sapiens) dont les premières traces sont datées de 100 000 ans. Il semble que les loups soient apparus en Eurasie il y a environ 800 000 ans.

Le loup fait partie du genre des canidés, tout comme le coyote (Canis latrans), le chacal (Canis aureus) ou encore le chien (Canis familiaris). Aujourd’hui toutes les espèces du genre Canis sont interfécondes et leur descendance viable. Elles sont le résultat d’une longue évolution qui continue encore aujourd’hui. Actuellement les différentes sous-espèces de Canis lupus occupent tout l’hémisphère nord et une partie de l’Afrique du Nord. Il n’existe pas une seule espèce de loup mais bien plusieurs et de nombreux débats sur leur identification agitent encore aujourd’hui les scientifiques (ex. Le chacal doré : Canis aureus lupaster pourrait être un loup).

Concernant son régime alimentaire, le loup est un carnivore. Ce grand prédateur (poids > 21,5 kg) « opportuniste », se nourrit principalement d’ongulés sauvages (chamois, chevreuil, mouflons…) comme le révèle l’analyse des fèces et le suivi des carcasses prédatées en France (source : ONCFS). Mais il s’intéresse également à des proies plus réduites comme le lièvre, la marmotte ou divers rongeurs. Il s’attaque aussi au animaux domestiques dont 95% sont des ovins. Le taux de réussite à la chasse étant faible (1 tentative sur 10), le loup est capable de jeûner plusieurs jours.

D’une grande plasticité écologique, les loups en général évoluent dans des habitats très variés : montagnes, forêts, déserts… Souvent nous imaginons les loups dans des contrées sauvages, loin de toutes habitations ou infrastructures humaines. C’est oublier qu’il est le premier animal à avoir été domestiqué, et selon les hypothèses actuelles, c’est lui qui se serait approché des humains. Au Paléolithique supérieur, il aurait évolué entre les installations de notre espèce… pourquoi s’étonner de les voir aujourd’hui à proximité des cabanes d’estives ou des villages ? Le loup conserve une certaine crainte de l’humain mais pas de ses aménagements. Tout comme les renards, les cerfs ou les sangliers, les loups s’habituent à l’environnement anthropisé.

Ces loups doués pour la survie font partis des espèces les plus représentatives de la sociabilité. Ils vivent le plus souvent en groupe familiale, la meute. Pendant longtemps l’organisation très hiérarchisée observée en captivité (mâle et femelle alpha, beta, …) a été considérée comme une généralité. Mais la science progressant, l’organisation sociale de ces animaux s’est révélée plus complexe et cette hiérarchisation n’est pas applicable aux meutes sauvages (excepté pour les supermeutes). En général la meute est constituée comme une cellule familiale : d’un couple reproducteur, ses louveteaux et parfois des individus issus des portées des années précédentes. En Europe, une meute rassemble en moyenne 2 à 6 individus et peut atteindre temporairement 8 à 12 spécimens sur un territoire moyen de 200-350 km², en fonction de la tranquillité et de l’abondance de nourriture (proies sauvages).

Le couple « dominant » se reproduit une fois par an, la mise bas a lieu en avril-mai après neuf semaines de gestation. Sur une portée de 4 à 6 louveteaux seuls 2 ou 3 survivront au premier hiver. En milieu naturel, l’espérance de vie peut atteindre 9 à 12 ans (le record est de 14 ans), mais ne dépasse généralement pas 5 ans. Les jeunes loups (subadultes) quittent le groupe en quête d’un nouveau territoire, à la recherche de nourriture et d’un alter ego pour fonder une nouvelle meute. Par ce phénomène naturel de dispersion, lentement l’espèce étend son aire de répartition.

Suite à nos observations de terrain dans le cadre du projet CanOvis, il semblerait que la biologie de l’espèce varie en milieu pastoral et diffère de celle classiquement observé en Amérique du Nord. Là-bas la présence de proies potentielles y est beaucoup moins importante. Les subadultes restent prêts des reproducteurs expérimentés, la chasse en groupe est alors plus efficace. Mais dans un système pastoral, les proies relativement “faciles” manquent moins ! Les subadultes, délaissés par le couple reproducteur s’occupant des plus petits, seraient plus enclins à aller prédater seuls ou en sous-groupes les troupeaux du secteur. Cette organisation “inédite” de la meute en milieu pastoral multiplie les comportements déprédateurs du groupe de loups et engendre une « pression loup augmentée “ vis-à-vis des troupeaux concernés

Les rapports entre l’homme et le loup sont très complexes et quasi systématiquement conflictuels. Aujourd’hui, de par le monde, l’homme représente la menace principale pour la survie de certaines populations lupines. Discret et champion de l’adaptation, le loup s’accommode en Europe occidentale à la pression humaine localement forte (urbanisation, voies de communication, chasse, agrosylviculture …) Il est ainsi capable de s’installer et se développer au plus près des populations humaines et de leurs activités (des stations de ski aux plaines agricoles).

Pour en savoir plus sur le loup :

  • Jean-Marc Landry, 2017. Le loup, Delachaux et niestlé.
  • Xiaoming Wang et Richard H.Tedford, 2008. Dogs : Their Fossil Relatives and Evolutionnary History, New York, Columbia University Press.

Sources :


Après son éradication totale en France au début du XX° siècle, ce grand carnivore est à nouveau détecté (de façon certaine) en France à l’automne 1992, dans le massif du Mercantour, département des Alpes Maritimes.

Issu de la population italienne (Canis lupus italicus) en expansion depuis une trentaine d’années dans ce pays, l’animal entame dès lors, un processus de recolonisation des territoires français qui lui sont favorables. À partir de l’extrême sud-est du pays, l’espèce étend depuis vingt ans son aire de répartition. Après s’être développée préférentiellement dans l’arc alpin, on la trouve aujourd’hui, dans une moindre mesure, de façon temporaire ou permanente, dans de nombreux autres territoires : Vosges, Jura, Massif Central, Pyrénées. Le loup ne se cantonne plus aux régions de montagne mais descend aussi en piémont et vers la plaine (Vaucluse, Drome, Gers, Aube, Charente…) Son aire de répartition croît en moyenne de 20 à 25% par année.

Sur la base de la relation EMR/CMR et des dernières données génétiques, l’effectif de loups est estimé au sortir de l’hiver 2019-2020 à environ 580 individus (N=577 [474-679]). A l’issue du suivi estival 2020, 114 zones de présence permanente de l’espèce (ZPP) sont détectées dont 99 meutes.

Cette population française est à relier à la population de loups qui se développe également versants italiens et suisses des Alpes. En progression géographique et démographique régulière, la population de loups peut être considérée comme durablement installée dans les Alpes occidentales. Mais la généralisation récente des prélèvements légaux sur l’espèce, en France et la volonté de zonage, peuvent poser dès aujourd’hui la question de sa viabilité sur le long terme (environ 100 loups prélevés par dérogation en 2019 et 2020).

A l’automne 2020, une étude de l’OFB note que « plusieurs signaux vont dans le sens d’une dégradation de la dynamique de la population de loup : cassure de la relation de calibration, taux de croissance projetés, baisse significative de survie ».

À consulter :

Sources :

  • Site officiel de l’ONCFS
  • Randi, Ettore & Lucchini, Vittorio & Fjeldsø Christensen, Mads & Mucci, Nadia & M. Funk, Stephan & Dolf, Gaudenz & Loeschcke, Volker. (2001). Mitochondrial DNA Variability in Italian and East European Wolves: Detecting the Consequences of Small Population Size and Hybridization. Conservation Biology. 14. 464 – 473. 10.1046/j.1523-1739.2000.98280.x.

Impacts du loup sur le pastoralisme

Le retour du loup, au début des années 90, s’est très vite accompagné de dommages importants sur les troupeaux domestiques essentiellement issus de l’élevage ovin. En zones de présence avérée du loup et en périphérie de ces zones, la plupart des élevages sont potentiellement exposés au risque de prédation.


Le régime alimentaire du loup est majoritairement constitué d’ongulés sauvages. L’analyse des fèces et le suivi des carcasses prédatées révèlent que chamois et chevreuils sont les proies sauvages principales du prédateur, en France. (source ONCFS)

Concernant les animaux domestiques la plupart des élevages de gros animaux sont potentiellement exposés au risque de prédation. Equins, bovins ont déjà subit des attaques. Plus régulièrement les troupeaux caprins sont touchés, mais se sont les ovins qui représentent 95% de la faune domestique consommée par les loups.

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Les territoires recolonisés par les loups, sont très concernés par l’activité pastorale ovine qui malgré certaines difficultés économiques de la filière, demeure dynamique, particulièrement dans les Alpes du Sud et plus généralement en région Provence Alpes Côte d’Azur (PACA) qui concentre également l’essentiel de la population lupine.

Selon les sources (Cerpam – MAP) entre 700 000 et 900 000 ovins pâturent en zones à loups au plus fort de la saison pastorale. Le mouton est donc une composante non négligeable de la disponibilité alimentaire du loup. En période estivale et localement, la part des ongulés domestiques peut monter jusqu’à 40-50% de son régime alimentaire. (moyenne par meute à 16 % environ du régime alimentaire – source ONCFS).


Les indicateurs annuels pour suivre la déprédation (1) sont le nombre d’attaque, le nombre de victimes constatées lors de ces attaques (sur demande du responsable du troupeau, chaque prédation est constatée par un agent habilité puis expertisée en DDTM pour exclure ou pas la responsabilité du loup) et le nombre de zones concernées. Si le nombre de victimes par attaque reste stable, compris entre 3 et 4 animaux depuis 2008, le nombre d’attaques et d’unités pastorales concernées augmentent sensiblement.

Plus que l’effectif total de loups, il semble que ce soit l’extension de l’aire de répartition qui soit responsable de la croissance nationale des dommages. La probabilité de rencontre entre le prédateur et de nouveaux troupeaux augmente. Mais bien que continue, cette augmentation des dommages n’est pas régulière, dans le temps et dans l’espace.

« Toutes les unités pastorales (UP) exposées au risque de prédation (car situées au sein de l’aire de présence détectée du loup) ne sont pas attaquées d’une part, et parmi celles attaquées d’autre part, certaines le sont bien plus souvent que d’autres, certaines années ou bien de façon continue »

Plan Loup 2013-2017

Ainsi la fréquence des attaques est très variable. En moyenne, 85% des UP touchées ne subissent « qu’une » attaque par an, mais certaines en concentrent un nombre bien plus important (plus de 10 attaques parfois), on parle alors de « foyers d’attaques ». Ponctuellement, la gravité des attaques peut être accentuée par un effet de « surplus killing » (le prédateur tue plus d’animaux que nécessaire) ou lors d’un dérochement lié à l’affolement du troupeau (jusqu’à 300 ovins précipités d’une barre rocheuse en Mercantour).

À ces pertes constatées et facilement chiffrables, s’ajoutent la part des animaux disparus (probable à chaque attaque), le stress occasionné au restant du troupeau, la baisse de la prise de poids, la baisse de la lactation, de la fertilité ou prolificité qui peut en découler.

En 2019, 37 départements français sont concernés par des dommages sur bétail attribuables aux loups.

(1) : La « déprédation » se rapportent à des vols ou des pillages s’accompagnant de dégâts causés au bien d’autrui, tels que les dégâts que les prédateurs peuvent faire sur les troupeaux lors de la prédation.

À consulter :

Sources :


Les activités d’élevages en zones à loup sont par principe potentiellement exposées à la prédation. La quasi-totalité des situations d‘élevage et de conduites pastorales, aussi variées soient-elles d’un bout à l’autre des zones à loup, sont concernés (de jour comme de nuit) par le « risque loup » tant l’animal est opportuniste.

Ce risque de prédation à l’échelle d’une exploitation dépend d’une multitude de facteurs qui déterminent un niveau de vulnérabilité : degré d’installation du prédateur, caractéristiques des pâturages (milieux ouverts ou fermés) pratiques d’élevage (allottement, reproduction) conduite des animaux (parcage, gardiennage, libre) météo, relief…

La pression de prédation ne s’exercera donc pas de la même manière, et au-delà des dommages effectivement subis, le plus difficile pour les éleveurs et bergers est finalement de travailler avec le risque permanent d’attaque sur leur troupeau. La nécessaire mise en place de stratégies et techniques de protection du cheptel, voire la réorganisation du système d’exploitation sont lourdes de contraintes et conséquences. L’impact du loup sur l’élevage se mesure aussi au niveau économiquesocial et psychologique : augmentation du temps de travail, baisse de la production, hausse des coûts de production, crispations des relations entre utilisateurs et gestionnaires des espaces pastoraux, stress et détresse morale des professionnels (et de leur famille).

À consulter :

Sources :

Gestion du dossier « loup et pastoralisme »

Le loup est une espèce protégée à l’échelle européenne depuis la fin des années 1970 – Avec son retour progressif sur le territoire national, l’État français à mis en place une succession de Plans Nationaux pour gérer cette « problématique ».


Canis lupus est protégé par différents textes de loi nationaux et européens.

À l’échelle de l’Europe, la Convention de Berne (1979) relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe protège l’espèce sous l’égide du Conseil Européen (47 pays). La Directive Communautaire Habitat Faune et Flore (DHFF-1992) le considère comme « prioritaire d’intérêt communautaire » en annexe II et IV dans les limites de l’Union Européenne (27 pays).

Dans le droit national français, ces dispositions sont transcrites dans le code de l’environnement aux articles L. 411-1, L. 411-2 et R. 411-1 à R. 411-5 et par l’arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Il est inscrit sur la liste rouge des mammifères continentaux de France métropolitaine (2017) (listé Canis lupus) comme « Vulnérable ». À ce titre la capture ou la destruction de loup peuvent être accordées dans des conditions strictes, ainsi des mesures dérogatoires à l’interdiction de destruction du loup peuvent être accordées.

Suivi du protocole d’intervention sur la population de loup française : Bilan actualisé des destructions de loups – DREAL AuRA

Dans le droit national Suisse, l’espèce est protégée par la Constitution fédérale (art. 78, al. 4 et art. 79 ; RS 101 et la législation nationale (Loi sur la chasse, LChP;RS922.0). La situation légale est donc similaire à celle exposé en France. Pour la gestion de l’espèce des plans nationaux Loup sont aussi mis en place. Garantir la protection de la faune sauvage tout en tenant compte des intérêts de la population est l’enjeu de cette politique. Les interventions sont réservées aux cas où toutes les autres mesures de prévention des dégâts ont échoué. Ces plans servent avant tout aux cantons pour l’application des directives.

“L’objectif des plans Loup et Lynx est de créer les conditions permettant de gérer les populations croissantes de grands prédateurs en Suisse.” OFEV


Dès 1993, l’État met en place une politique gouvernementale pour accompagner le retour du loup (indemnisation des dommages, protection des troupeaux …). Jusqu’en 2004, grâce à un financement communautaire, deux programmes LIFE Nature (l’Instrument Financier pour l’Environnement) se succèdent.

S’inscrivant dans la continuité des actions lancées durant ces deux « LIFE », un Plan National d’Action sur le Loup (PNAL) est établi en 2004 par les ministères de l’Écologie et de l’Agriculture. Un « Groupe National Loup » (groupe de travail et réflexion) est aussi créé à l’automne 2004, réunissant différents acteurs administratifs, professionnels, experts, élus et associations, qui définissent conjointement la politique de la France sur le sujet. Réduction de l’impact du loup sur l’élevageétude et gestion des populations lupinescoopérations transfrontalières et communication, sont les principaux objectifs de ce plan 2004-2008, repris également de 2008 à 2012. Ces plans d’action interministériels permettent « de concilier le développement maîtrisé d’une population de loups et la poursuite d’activités pastorales ou plus généralement de l’élevage ». Ils doivent se conformer à l’arrêté du 30 juin 2015 (publié au Journal officiel de la République française le 2 juillet 2015) fixant les conditions et les limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup. La France s’engage à garantir un état de conservation favorable du loup tout en ayant une maîtrise minimale du développement territorial de l’espèce « dans le contexte français d’une activité importante et traditionnelle d’élevage » (Plans loup 2004-2012).

À partir de 2013 un troisième plan est mis en place jusqu’en 2017.

L’État se donne comme priorités :

  • Un suivi biologique étendu et plus réactif (nouveaux territoires, allègement du suivi systématique, délai d’analyse ADN…)
  • La protection « primordiale » des troupeaux : amélioration des techniques, expérimentations, territoires pilotes, simplification du dispositif d’aide (mesure 323C, évaluation de l’efficacité…)
  • Un dispositif d’indemnisation affiné : simplification et fluidification des procédures (constat, instruction technique et administrative, circulation de l’information) – meilleures évaluation et prise en compte des pertes indirectes (avortement, perturbation de l’agnelage, non prise ou perte de poids…)
  • Un protocole d’intervention étoffé et « proportionné aux enjeux » : renforcer les possibilités de tir pour les éleveurs et bergers, hausse du plafond annuel de prélèvement, formation des personnes habilitées (bergers, louvetiers, chasseurs, agents ONCFS) interventions graduées et territorialisées.

« L’enjeu réside désormais dans la construction, avec l’ensemble des partenaires, d’une vision commune des moyens de cohabitation entre un prédateur présent sur notre territoire, le loup, et une activité essentielle pour les zones de montagne, l’agropastoralisme » Dossier de Presse – Projet de PNAL 2013-2017 – MEDDE – 2013

À la commande du Ministère en charge de l’Environnement du 7 avril 2016, une démarche politique prospective d’évaluation de la situation à long-terme du loup gris (Canis lupus) en France a été lancée.

« Les résultats d’une expertise collective sociologique contribueront, avec ceux de la présente expertise biologique, à éclairer l’État quant à comment atteindre son objectif politique de garantir une cohabitation socialement et économiquement acceptable entre le loup et les activités humaines » Expertise scientifique collective sur le devenir de la population de loups en France – ONCFS/MNHN – mars 2017

Le quatrième plan , « sur le loup et les activités d’élevage », mis en place de 2018 à 2023, se base sur cette évaluation : « Le plan loup a pour objectif d’élaborer une nouvelle méthode de gestion de l’espèce, fondée sur une meilleure connaissance de l’espèce et de ses modes de vies, pour mieux la protéger et permettre également la protection des troupeaux et des éleveurs » (DREAL AuRA 2018) Cette version, comme les précédentes, tente de concilier les objectifs de protection de l’espèce et les attentes des différents acteurs du territoire.

Documents/Références :
  • Démarche prospective de la France sur le loup

Mesures d’accompagnements du pastoralisme face au risque de prédation

Différents soutiens techniques et économiques sont proposés aux élevages confrontés aux risques de prédation.


Via les Direction Départementale des Territoires et de la Mer (DDTM) et leurs chargés de mission « prévention contre la prédation » l’État favorise la mise en place et le financement de techniques de protection des troupeaux.

“Techniquement, la protection des troupeaux a pour objectif d‘éviter les attaques et de réduire les pertes en bétail associées. Un moyen de protection sera jugé efficace lorsqu’il diminue le nombre d’attaques et/ou le nombre de bêtes tuées au sein des troupeaux sous sa protection par rapport à d’autres troupeaux non protégés.” Évaluation 2009-2014 – TerrOiko

Des premières expérimentations réalisées dans le Mercantour à l’arrivée du loup jusqu’à la « mesure 323C1 » actuellement en vigueur à l’échelle nationale, les outils, techniques et modes de financement n’ont cessé d’évoluer en fonction des retours d’expérience et des nouveaux contextes d’élevages concernés par la prédation. Le MAAF organise et finance l’aide à la protection des troupeaux. La mesure 323C1 (OPEDER) fixe les modalités de mise en œuvre de cette protection. Elle s’inscrit dans le dispositif intégré en faveur du pastoralisme du Programme de Développement Rural Hexagonal 2014-2020 (PDRH).

« L’éleveur s’engage à mettre en place des moyens de protection (gardiennage renforcé, parcs de pâturage et de regroupement nocturne, chiens de protection, analyse de vulnérabilité) selon le mode de conduite dominant de son troupeau. Trois modes de conduites sont déclinés : conduite en parc (prépondérant ou exclusif), conduite en gardiennage (prépondérant ou exclusif), conduite mixte (gardiennage et/ou parc selon les périodes de l’année). » Service de l’Agriculture et des Espaces ruraux

Cette mesure (complexe) finance différentes options visant à favoriser le gardiennage renforcé des troupeaux, la mise en place de chiens de protection, le regroupement des troupeaux et l’usage de clôtures (parcs de nuit, parcs de pâturage sécurisés). L’aide au gardiennage, l’achat et l’entretien des chiens de protection, les filets et clôtures sont financés à hauteur de 80 % de l’investissement, 100% pour les analyses de vulnérabilité.

Il s’agit d’une mesure contractuelle annuelle en « cercle 1 » (communes avec présence avérée du loup) et dont les engagements sont révisables annuellement. En « cercle 2 » (communes limitrophes ou à risque d’expansion du loup), l’engagement est limité à une durée d’un an, et exclut le gardiennage renforcé. La zone de contractualisation, définie par commune, est arrêtée annuellement par le Préfet. Le contractant s’engage à mettre en œuvre des mesures de protection pour son troupeau selon les modalités correspondant à la taille du troupeau et au parcours pastoral, pendant la durée de son contrat.

Les éleveurs, initialement très réticents à l’adoption de mesures de protection, se sont pourtant engagés dans ces démarches à un rythme croissant chaque année. Durant le PNAL 2008-2012 le nombre de contrats passés par les éleveurs a été multiplié par 1.5 (1212 dossiers en 2012) et les crédits alloués par 1.7 (8.8M€ en 2012). En 2019, 2 722 dossiers ont été constitués sur 24 départements pour 26.84 M€ engagés (Source DREAL AuRA)

Le tir, qu’il soit d’effarouchement ou létal fait désormais partie de la panoplie d’outils dont dispose l’éleveur ou le berger pour protéger au quotidien son troupeau.

Depuis l’été 2018 un nouveau statut permet de classer certaines zones pastorales en « zones difficilement protégeables » : ZDP – AuRA 2018


« À condition qu’il n’existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12, 13, 14 et de l’article 15 points a) et b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ». Article 9 de la Convention de Berne et article 16 de la DHFF

Ainsi, il existe un régime de dérogation qui permet aux États d’intervenir directement sur la population de loup avec la possibilité de prélèvement de spécimens de loups. En France, les opérations de tir sont autorisées par arrêté préfectoral.

L’ONCFS est sollicité par le préfet pour superviser les opérations, assisté des lieutenants de louveterie et des chasseurs. On distingue « à proximité immédiate des troupeaux », les tirs de défense appliqués par les éleveurs, bergers ou personnes mandatées par eux et les tirs de prélèvement, opérations d’envergure, encadrées par l’ONCFS.

Un protocole technique d’intervention sur la population de loups doit être strictement respecté. Ce protocole fixe les conditions dans lesquelles les tirs peuvent être réalisés : zones éligibles, pression de prédation, moyens de protection, type de matériel, durée des opérations, personnes habilitées. D’année en année, le protocole « s’assoupli » pour simplifier, faciliter et généraliser la mise en œuvre des tirs.

Annuellement, une fourchette et un plafond maximum du nombre d’individus à prélever est fixé par le Conseil National de Protection de la Nature (CNPN). De 2008 à 2012, ce plafond est passé progressivement de 6 à 11 spécimens prélevables par an, 13 animaux ont été effectivement détruits sur la période.

En 2014, le nombre possible de loups à prélever était fixé à 24 individus, 36 en 2015, 40 en 2018 (extensible selon la pression de prédation), finalement 47 sont prélevés dans ce cadre. En 2019, 94 individus sont détruits, 105 en 2020.

Les éleveurs (ou personnel habilité) peuvent être autorisés par le préfet à réaliser « à proximité du troupeau » :

  • Des tirs de défense préventive part une seule personne à la fois.
  • Des tirs de défense renforcée, lorsque les tirs de défense se révèlent inefficaces, ces tirs de défense renforcée pouvant faire appel à plusieurs tireurs simultanément (10 maximum).

S’il est constaté des dommages importants dans les élevages malgré la mise en œuvre des tirs de défense, l’office national de la chasse et de la faune sauvage peut intervenir pour organiser des opérations de tirs de prélèvement. Des autorisations de tirs sont également délivrées aux chasseurs dans le cadre de battues au grand gibier ou encore à l’approche et affut. En 2015 est créée, au sein de l’ONCFS, une Brigade spécialisée dans la destruction de loups.

Les modalités de prélèvement en détails : Protocole d’intervention – ONCFS

Le suivi des prélèvements sur la population française de loups : Bilan des destructions de loups – DREAL AuRA


Pour répondre à des situations de crise, chaque département (DDTM) dispose de crédits d’urgence qui peuvent être utilisés pour la mise en place de premières mesures de protection dans de nouveaux secteurs, pour renforcer des dispositifs sur les foyers de prédation, ou encore organiser des formations, des expertises… le budget total national des crédits d’urgence s’élève en 2012 à 230 000 € , il est de 110 000 € en 2019.

Par ailleurs, pour une stratégie de protection efficace et moins contraignante, la mobilisation des outils directs de protection s’accompagne généralement d’une adaptation (autant que possible) du système d’élevage (effectif cheptel, allotement, conduite du troupeau…) et de la réalisation d’aménagements qui restructurent l’espace pastoral en fonction du risque de prédation. Ils concernent particulièrement l’hébergement (création ou rénovation de chalet-cabane d’alpage) l’alimentation en eau (création et sécurisation des points d’eau) et l’ouverture des milieux embroussaillés ou boisés (améliorer la visibilité et le gardiennage des troupeaux).

Le groupement des éleveurs est aussi une réponse aux exigences de protection : accroissement du personnel et temps de gardiennage, embauche d’un berger commun, accès aux financements des infrastructures réservés aux maitres d’ouvrage collectifs (GP, association foncière pastorale (AFP), communes…) et hausse de la capacité d’autofinancement. Dans ce cadre, une restructuration du foncier est également souhaitable mais lourde à mettre en œuvre.

Pour accompagner ces nécessaires évolutions, des politiques territoriales se mettent en place et mobilisent les acteurs locaux techniques et financiers : communes, parcs, ONF, DDTM…

Enfin, en parallèle à ces mesures de soutien direct, l’État et les collectivités territoriales développent et finances des programmes de recherche et l’expérimentation de nouvelles techniques et pratiques. L’objectif est d’améliorer les systèmes et procédures actuelles, anticiper la problématique sur le front de colonisation de l’espèce et maîtriser les coûts.

Protection des troupeaux contre la prédation

Tour d’horizon sur les systèmes de protection: démarche globale, stratégies, outils directs …

Pour défendre les troupeaux des techniques ont été développées depuis très longtemps (Fin de la Préhistoire ?). Toutes concourent à la protection rapprochée du cheptel.

Dans tous les pays où les troupeaux sont confrontés aux grands prédateurs, les réponses apportées aux problèmes de prédation sont sensiblement identiques. On retrouve généralement la « trilogie » : bergers – chiens de protection – parcs de regroupement.

Dans chaque région elles ont été adaptées aux particularités locales (milieu naturel, système d’élevage, conditions économiques, moyens matériels).

En Italie, Espagne, Europe de l’Est…, ces techniques n’ont jamais été abandonnées. Plusieurs variantes existent, en mettant l’accent sur l’un ou l’autre des ces trois éléments fondamentaux. Leur judicieuse combinaison (et actualisation) fait l’efficacité de l’ensemble du système de protection.


La protection des troupeaux relève d’une démarche globale, de l’unité pastorale au territoire. Dans une chronologie idéale, le processus s’enclenche par un diagnostic de vulnérabilité du système d’élevage à protéger qui permettra d’identifier les options techniques à retenir et la stratégie globale à mettre en place. Différents outils de protection sont ensuite mobilisés et combinés, les pratiques et équipements sont adaptés afin de consolider dans la durée le système pastoral.

A partir de méthodes ancestrales, comme l’utilisation de chiens de protection, la France a développé en vingt ans de présence du loup un certain savoir faire en matière de protection des troupeaux. Ces techniques permettent une réelle baisse de la prédation, sans exclure totalement le risque de dommages.

La France « réapprend » la protection des animaux domestiques en tenant compte du contexte actuel : diversité des élevages ovins touchés, spécificités et multi-usages des territoires. Protéger son troupeau c’est utiliser une combinaison d’outils de protection active dans un système repensé autour du risque loup et de son évolution au quotidien.

A partir de méthodes ancestrales, comme l’utilisation de chiens de protection, la France a développé en vingt ans de présence du loup un certain savoir faire en matière de protection des troupeaux. Ces techniques permettent une réelle baisse de la prédation, sans exclure totalement le risque de dommages.

La France « réapprend » la protection des animaux domestiques en tenant compte du contexte actuel : diversité des élevages ovins touchés, spécificités et multi-usages des territoires. Protéger son troupeau c’est utiliser une combinaison d’outils de protection active dans un système repensé autour du risque loup et de son évolution au quotidien.

Qu’elle soit dans l’urgence ou anticipé, la démarche de protection du cheptel est un acte marquant dans la vie d‘une exploitation agricole. Il s’agit d’intégrer au mieux un schéma de prévention, dans un équilibre subtil entre bonne gestion pastorale et protection efficace.

En fonction des caractéristiques de l’exploitation (solidité économique, main d’œuvre disponible, maitrise du foncier…) des contraintes d’élevage (production, reproduction, label…) du milieu naturel et du multi-usage du territoire (zones protégées, chasse, tourisme…) une stratégie de protection propre à chaque exploitation (voire chaque parcelle pâturée) sera au fil des ans développée, vers un compromis entre enjeux de production et nécessité de protection.

Certaines adaptations pour diminuer la vulnérabilité d’un système peuvent amener à réviser le calendrier de reproduction ou de pâturage, la race ou le type d’animaux à mener en alpage, à abandonner certains secteurs, agrandir les bâtiments pour abriter plus d’animaux certaines nuits, déplacer des sentiers de randonnée pour clôturer des parcelles…


Une diversité d’options techniques est applicable en fonction du contexte à partir des moyens directs de protection qui se combinent pour offrir plus d’efficacité et de souplesse dans la gestion du risque loup.

En modifiant l’environnement pastoral, subitement ou sur un laps de temps assez court, effaroucher est l’action d’effrayer et idéalement faire fuir un prédateur. Il s’agit de mettre à l’épreuve les sens du loup, à l’approche d’un troupeau.

Les techniques d’effarouchement sont basées essentiellement sur des stimuli visuels ou sonores : fladries (rubans), fumigènes, détonations, éclairages, odeurs répulsives, tir non létal…

Généralement ces « leurres » répondent à un besoin temporaire de protection, leur effet est très souvent limité dans le temps, de quelques jours à quelques semaines. L’enjeu est donc de repousser le phénomène d’habituation en variant la source du ou des stimuli, leur fréquence d’utilisation et leur combinaison. En France chaque berger « bricole » ses propres outils d’effarouchement (parfum sur des chiffons, disques CD, pétards, stroboscopes…) les DDTM proposent des « cerbères », dispositifs automatisés de diffusion sonore et lumineuse.

En se basant sur l’effet territorial et l’attachement au troupeau, certains animaux domestiques développent un sens « inné » de protection du cheptel avec lequel ils évoluent. Grace à une morphologie imposante, chiens, lamas et ânes dissuadent, généralement, tout intrus de s’approcher du troupeau. A l’affut de toute perturbation ils s’interposent, manifestent clairement leur désapprobation (aboiements, cris, ruades, charges…) et peuvent aller jusqu’à la confrontation directe avec l’élément perturbateur si leurs avertissements ne suffisent pas.

Equidés et camélidés présentent une aversion forte à l’encontre des canidés, ils sont plutôt recommandés pour de petits troupeaux évoluant en milieux « faciles » : pâturages vallonnés et clôturés. Le tout dans un contexte de pression de prédation relativement faible.

Les expériences en France sont assez rares, même si ces grands animaux présentent plusieurs avantages dans leur gestion (bonne intégration aux troupeaux, régime herbivore, longévité…). L’animal de protection le plus utilisé est bien sûr le chien, qui demeure l’outil primordial d’un système de protection, le plus adaptable et le plus efficace même en cas de forte pression de prédation.

Initialement, la clôture est un outil de conduite des animaux au pâturage (diminution du temps de gardiennage, gestion de la ressource herbagère, des contraintes foncières)

Aujourd’hui en zones à loups, la clôture est devenue également le premier niveau de protection que la présence humaine ou les CPT renforceront efficacement. La clôture constitue pour le prédateur une barrière physique et répulsive de part son électrification.

Face aux risques de prédation, les parcs de regroupement sont utilisés comme moyen de sécurisation des lieux de repos des animaux (couchade et chôme) : les animaux rassemblés forment une unité compacte moins vulnérable aux attaques et à la dispersion, plus facile à surveiller par le berger et les CPT. Généralement se sont des filets électrifiés mobiles qui sont utilisés. Ces « parcs de nuit » se sont généralisés sur les alpages, ils représentent une mesure simple et rapide à mettre en place pour sécuriser la période nocturne, la plus vulnérable aux attaques.

Sur les systèmes d’élevages en parcs, les clôtures existantes ont été sécurisées par une électrification des structures. Sur les pâturages initialement libres, des parcs d’appui au gardiennage sont conçus pour diminuer le temps de conduite par le berger, en fonction de ses différentes missions, des facteurs de vulnérabilité et du risque loup du moment. Ces deux types de parcs fixes permettent à la fois la contention-protection du troupeau et la gestion de l’espace pastoral.

Les éleveurs et bergers bénéficient d’autorisations de tirs de défense de leur troupeau, qu’il soit d’effarouchement ou létaux. Ils peuvent demander l’appui ou la délégation des tirs à des lieutenants de louveterie, des chasseurs locaux ou encore à la « brigade loup » (ONCFS) qui agiront « à proximité du troupeau ».


LE PATOU RÉINVESTIT LES PÂTURAGES FRANÇAIS

Depuis de nombreux siècles (3000 ans ?) les pasteurs du monde entier sélectionnent des chiens massifs de types molossoïdes pour la sauvegarde des troupeaux domestiques. De l’Himalaya à l’Europe en passant par le Moyen Orient, chaque région a développé son type de chien de protection, aujourd’hui on recense plus de 40 races à la corpulence imposante : Dogue du Tibet, Mastin espagnol, Berger d’Anatolie, Maremme Abruzzes, et pour la France le Montagne des Pyrénées ou Patou. En France à l’exception de quelques vallées pyrénéennes, l’utilisation des chiens de protection avait quasiment disparue avec les derniers prédateurs sauvages.

Depuis le retour du loup dans les Alpes, plus de 1600 chiens ont été mis en place. On en trouve plus de 200 aujourd’hui dans les Pyrénées pour accompagner les réintroductions d’ours commencées dans les années 90. Un peu partout en France (hors zones à grands prédateurs) des éleveurs réutilisent ces chiens afin de se préserver des attaques de chiens divagants, des dégâts dus aux animaux sauvages comme le renard ou le sanglier, mais aussi pour dissuader d’éventuels « loups à deux pattes » voleurs de brebis ! En 2011, les CPT représentent 16% des dépenses engagées dans la mesure 323C1 – La population des chiens actifs dans les Alpes françaises est estimée à plus de 1200 chiens.

Le chien de protection fait partie intégrante du troupeau, il développe un attachement affectif fort avec le troupeau qu’il ne quitte jamais. Sa présence est avant tout préventive et dissuasive vis à vis d’un éventuel intrus : animal sauvage, chien domestique, humain… Face à une menace, le chien signale sa présence par des aboiements profonds et puissants et s’interpose entre le prédateur et le troupeau, les affrontements sont rares mais possibles.

Selon la littérature, un CPT est considéré « efficace » s’il présente certaines caractéristiques physiques, comportementales et mentales spécifiques à sa fonction de dissuasion :

  • Type molossoïde : grande taille et corpulence
  • Caractère équilibré : calme, assurance, constance, vigilance, adaptation
  • Attachement et loyauté au troupeau : lien affectif, respect, soumission
  • Aptitude à la protection : réaction adaptée à une perturbation
  • Tolérance à l’homme : acceptation de l’homme et de ses activités

Le caractère protecteur tient à la fois de « l’inné », de l’éducation et de l’expérience du chien, en aucun cas le CPT ne peut être un chien d’attaque. Concernant le troupeau, sa mission est bien dissociée de celle du chien de conduite qui mène les animaux et reste attaché au berger.

Même si le chien de protection est l’outil le plus performant dans la panoplie des mesures de protection, son efficacité ne peut être garantie. L’intégration au troupeau et l’éducation du jeune chien sont des phases délicates pour obtenir un bon animal de protection. Cela demande une implication et un suivi important de la part du propriétaire.

Suivant le contexte, diverses difficultés peuvent apparaître quant à l’utilisation efficace et permanente d’un chien : troupeau séparé en plusieurs lots, nature accidenté des pâturages, météo difficile, voisinage, urbanisation et interactions avec d’autres usagers du territoire (randonneurs, chasseurs…).

Les frais supplémentaires (vaccinations, nourriture…) la responsabilité juridique du propriétaire (surtout en zones d’hivernage périurbaines) représentent aussi des éléments contraignants pour les éleveurs qui utilisent ces chiens.

Cependant les chiens de protection opérationnels offrent des atouts incontestables : autonomie, action permanente et rassurante pour le berger comme pour le troupeau, lutte « à armes égales » avec le loup, capacité d’adaptation à des situations différentes, initiatives et stratégies de défense…


Regard sur la protection des troupeaux

Dans les Alpes comme ailleurs, les résultats obtenus confirment la légitimité de la politique de protection directe des cheptels. La mise en place d’un ou idéalement plusieurs moyens de protection fait baisser la pression de prédation.

Malheureusement ces techniques s’accompagnent de contraintes et difficultés dans leur mise en place et leur application quotidienne, jusqu’à les rendre parfois « insupportables » pour le berger ou l’éleveur qui en a la charge. Elles semblent par ailleurs atteindre leurs limites d’efficacité dans certains contextes encore mal définis.

Malgré les aides techniques et financières, la mise en place des protections représente un investissement personnel et financier non négligeable de la part des éleveurs et bergers et un surcroît de travail parfois conséquent. Il faut 3 à 5 années pour que les mesures commencent à être véritablement opérationnelles (savoir faire du berger, éducation du chien, accoutumance du troupeau…) (source MEDDTL)

« Les modifications du système d’élevage induites par la protection du troupeau sont perturbantes, le danger est de perdre la cohérence technico-économique qui menait l’exploitation avant l’arrivée du loup » CERPAM 2013

Chaque mesure de protection présente des inconvénients : l’embauche d’aide berger, nécessite des cabanes plus grandes et « aux normes », un savoir faire en management de l’éleveur. Le regroupement nocturne des animaux induit une diminution du temps de pâturage (soir et matin) des modifications des circuits de pâturages, du temps de travail supplémentaire pour ramener le troupeau sur la couchade « obligée », des risques sanitaires et d’érosion du sol dans l’enceinte et aux abords des enclos. La mise en place des parcs fixes nécessite une bonne maitrise du foncier, une bonne adaptation aux multi-usages des territoires (tourisme, chasse, transports…) Dans ce registre, les CPT provoquent parfois la psychose dans les zones touristiques de montagne (divagation, risques de morsures…) jusqu’à remettre en cause les baux de location des pâturages communaux !

Il apparait clairement que les dommages sont particulièrement importants lorsque distribution du loup et des troupeaux se superposent le plus et le plus longtemps. Ainsi la région PACA concentre tout naturellement 70% des attaques. Pourtant les moyens de protection y sont largement appliqués et de longue date. Ainsi, les Alpes Maritimes déjà au premier rang des départements les plus touchés, a enregistré une augmentation annuelle des dégâts de +30% de 2011 à 2013.

Plus localement, malgré des efforts constants de protection certaines UP n’arrivent pas à faire baisser la pression de prédation. Même si la proportion nationale de ces « foyers d’attaques » s’est stabilisée (5% des UP touchées depuis 2000), la concentration ponctuelle ou récurrente des attaques sur quelques alpages ou pâturages apparait « incontrôlable ». En 2018, 4% des éleveurs attaqués ont subit plus de 10 attaques dans l’année.

Du département à l’UP, la protection semble parfois « en limite de puissance » et l’augmentation ou la constance de forts dommages laisse éleveurs, bergers, techniciens, décideurs… dubitatifs.

La recherche de facteurs déterminants s’avère difficile, tant les systèmes à analyser sont variés et complexes. Plusieurs études ont déjà été menées sans grand succès. Certaines évidences sont confirmées comme l’influence de la météo, ou le nombre de chiens de protection affectés. D’autres sont invalidées, comme le nombre de loups présents qui ne se corrèle finalement pas au nombre d’attaque.

Les raisons sont évidement multifactorielles, mais l’une des plus probables et préoccupantes est sans doute une certaine « habituation » du loup aux différentes défenses auxquelles il a été confronté jusqu’ici, à l’approche d’un troupeau. Optimiser les techniques de protection passe nécessairement aujourd’hui par une meilleure connaissance du facteur loup.